Le bel occident de Thèbes
LE BEL OCCIDENT DE THÈBES IMENTET NEFERET DE L'ÉPOQUE PHARAONIQUE AUX TEMPS MODERNES
Christian LEBLANC est égyptologue, directeur de recherche émérite au CNRS et conseiller scientifique permanent auprès du CEDAE (Ministère égyptien du Tourisme et des Antiquités). Depuis 1991, il dirige la Mission franco-égyptienne de recherches et de restauration du Ramesseum à Louqsor.
Angelo SESANA, professeur d’histoire de l’art ancien à l’Académie des Beaux-Arts de Côme, est directeur de la Mission archéologique italienne du temple d’Amenhotep II à Louqsor et président du Centre d’égyptologie Francesco Ballerini.
Après La Mémoire de Thèbes et Ramsès II et le Ramesseum (L’Harmattan 2015 et 2019), voici le dernier volet d'une trilogie consacrée à l’histoire plusieurs fois millénaire de la Thèbes d’Égypte. Les auteurs y traitent exclusivement de la rive ouest de la cité, le "Bel Occident" des anciens Égyptiens.
Depuis l'aube des temps, ce territoire a été associé non seulement à la mort mais aussi à la vie. À l'époque pharaonique, on y construisit des temples, on y célébra des fêtes, et on y enterra pieusement dans une célèbre vallée les souverains du Nouvel Empire. Durant la période gréco-romaine, on y venait parfois de fort loin pour voir les "syringes" ou entendre "chanter" le fameux colosse de Memnon. Après l'abandon des cultes païens, le christianisme s'y imposa avant qu'à son tour l'islam vienne écrire une nouvelle page dans son paysage. Fondé sur une abondante quête de toponymes, de l'époque pharaonique à nos jours, ce livre dévoile la longue, riche et parfois tumultueuse histoire de cet espace géographique aujourd'hui classé au patrimoine de l'humanité.
Photo de couverture : La Vallée du Nil avec les ruines du temple de Séthi Ier, 1844, Prosper Marilhat.© RMN-Grand Palais (Musée du Louvre).Thierry Le Mage.
Interview de Christian LEBLANC réalisée par Marie GRILLOT
Avec "Le Bel Occident de Thèbes Imentet Neferet - De l'époque pharaonique aux temps modernes - Une histoire révélée par la toponymie", Christian Leblanc nous propose un ouvrage tant géographique qu'historique sur ce territoire qu'il chérit et parcourt depuis des décennies… Si la rive ouest de Louqsor, dominée par les falaises désertiques de la chaîne libyque, offre à nos yeux émerveillés son grandiose passé pharaonique, elle garde aussi dans sa mémoire les traces de multiples "occupations" moins connues … De la préhistoire à la XXXe dynastie, de l’époque ptolémaïque à la fin de l’époque copto-byzantine, de l’époque arabo-musulmane jusqu’à nos jours, nous découvrirons combien chacune de ces "strates" l'a impactée et nous réaliserons combien la toponymie s'en fait le "révélateur" … Mais pour cela, encore fallait-il savoir "lire entre les lignes" des hiéroglyphes, des écritures grecque, copte et arabe, encore fallait-il pouvoir analyser un paysage et son évolution, comprendre ses occupants, leurs habitudes de vie, leurs religions... C'est à cela que l'auteur s'est consacré, avec passion, avec son ami et collègue Angelo Sesana. Et leur fructueuse collaboration a mené à cette "somme" de 590 pages recensant plus de 600 toponymes, étayée par une impressionnante bibliographie et illustrée par de multiples photos et cartes…
Nous remercions Christian Leblanc d'avoir accepté de nous présenter cet ouvrage qui se trouve être le dernier de sa trilogie débutée avec "La mémoire de Thèbes" et "Ramsès II et le Ramesseum", publiés également chez L'Harmattan …
MG-EA : "Depuis l'aube des temps, ce territoire a été associé non seulement à la mort mais aussi à la vie" écrivez-vous : qu'est-ce qui a pu prédestiner ce "Bel Occident" de Thèbes à devenir le réceptacle d'une aussi riche et longue histoire ?
Christian Leblanc : Bien avant l'époque pharaonique, n'oublions pas que l'occident de Thèbes, après une histoire géologique longue et mouvementée, mais aussi après des variations ou changements climatiques, avait été parcouru par les hommes de la lointaine préhistoire. Sur les versants de la chaîne libyque, l'homo habilis a laissé des traces de son existence, comme ces fameux "galets aménagés" en lesquels les chercheurs ont reconnu-là une industrie lithique remontant au préacheuléen. Nous sommes alors vers ± 1.500.000 mille ans avant notre ère ! C'est ainsi donc, dans un contexte géographique qui deviendra de plus en plus hospitalier, que l'homme va s'installer, se sédentariser et finir par vivre en communauté et en permanence. À l'époque pharaonique, doté d'un environnement dont les composantes sont quasiment fixées, ce territoire deviendra le quatrième nome de Haute-Égypte. Et avant d'être installée sur la rive droite du Nil, sa capitale sera pour un temps, la ville d'Erment, située à l'occident et dont le dieu tutélaire Montou sera pour cette raison promu dieu du nome, avant d'être supplanté par Amon qui imposera dès lors vers la fin du Moyen Empire, le transfert de la capitale à l'est. Il n'en demeure pas moins que l'occident thébain continuera de vivre sa propre histoire, ce qui n'en fera pas pour autant comme on l'a parfois un peu trop dit, une rive exclusivement réservée aux morts. À l'univers minéral grandiose qui barre son horizon à l'ouest, s'oppose une plaine luxuriante que borde à l'est un fleuve prodigue, le Nil, aux crues annuelles bénéfiques. Si la rive gauche est sans doute célèbre pour ses nécropoles, elle l'est tout autant pour ses temples, ses chapelles, et la prospérité agricole de tout son espace. Comme sur l'autre rive, une existence locale et aux multiples facettes s'y est en fait développée, avec de nombreuses activités, les unes certes associées à la mort, à ses préparatifs et à ses apparats; les autres, tout aussi présentes et liées plutôt aux chantiers de construction sur lesquels devait être affecté, on s'en doute, tout un personnel d'ouvriers et d'artisans. À la vie qu'animaient déjà tous ces corps de métiers, il faut encore ajouter tous les collèges et les hiérarchies de prêtres qui officiaient dans les temples et célébraient les fêtes rituelles, puis mentionner peut-être plus humblement, les travaux des champs et le labeur qui revenaient donc aux agriculteurs et aux éleveurs, sans oublier même les pêcheurs car le fleuve était aussi réputé pour être généreux. Tout cela pour dire que finalement, dans un cadre prédestiné et visiblement plutôt favorable à l'épanouissement, ce sont les hommes qui, au travers de leurs occupations, de leurs coutumes et de leurs traditions, ont forgé au fil du temps, la belle, riche mais aussi parfois tumultueuse histoire de l'occident de Thèbes.
MG-EA : Comment la toponymie se révèle-t-elle être une clé de compréhension de cette "thébaïde", de sa géographie, de son histoire et de ses populations ?
CL : Comme on le sait, la toponymie étudie les noms propres afférents à des lieux. En règle générale, le toponyme est un indicateur majeur du dispositif historique, géographique et politique d'une époque donnée comme de ses manifestations esthétiques et culturelles. De la sorte, il se place résolument au croisement épistémologique de nombreuses disciplines, qu'il s'agisse de la géographie, de l'anthropologie, de l'histoire, de la sociologie, de la littérature et de la linguistique. La toponymie inclut donc non seulement les noms qui peuvent être associés à des reliefs (oronymes), à des cours d'eau ou canaux (hydronymes), à des voies de communication, à des terrains ou parcelles végétales, mais aussi à des caractéristiques de géographie physique ou à des particularités environnementales (choronymes), à des domaines ou installations, voire à des lieux de vénération (hagionymes/hagiotoponymes). Dans un espace géographique comme celui de l'occident thébain, connu pour être détenteur d'une histoire plusieurs fois millénaire et ininterrompue jusqu'à présent, les toponymes peuvent non seulement s'appliquer à des districts ou à des quartiers définis, mais encore à tout le patrimoine archéologique constitué de temples, de chapelles, de parties d'édifices cultuels, de tombes, d'emplacements consacrés en raison d'événements particuliers, de chemins qui peuvent correspondre à des voies processionnelles, d'églises, de monastères, voire encore de mausolées dédiés à de saints personnages. Parfois, il est vrai, ce sont seulement de simples témoins épigraphiques, graffiti, ostraca ou papyrii, qui nous informent d'un lieu, hameau ou village, bien identifié à une époque donnée mais physiquement disparu depuis. C'est notamment le cas pour l'époque gréco-romaine ou copto-byzantine, suggérant ainsi les transformations, dans certains cas profondes, qui ont pu intervenir au fil du temps dans le paysage. À cela s'ajoute d'ailleurs aussi l'évolution, voire les mutations urbanistiques qu'a pu connaître la rive gauche, comme ce fut encore le cas dans un passé récent (2006) avec, par exemple, le déplacement des populations de Gournah et la destruction des habitats jusque-là ancrés sur les flancs de la montagne thébaine.
MG-EA : L'époque pharaonique a connu des apogées et des déclins, mais rayonne toujours d'une incroyable aura… Les vestiges qui jalonnent la rive ouest sont-ils, encore de nos jours, des "marqueurs", une présence "ancrée" de manière indélébile dans l'histoire ?
CL : Il faut sans doute rappeler que les monuments de l'époque pharaonique qui jalonnent encore la rive gauche aujourd'hui, portaient tous des noms dans l'antiquité : les temples, les chapelles, les tombes et les nécropoles pouvaient donc parfaitement être localisés dans cet espace qui s'étendait sur plusieurs dizaines de kilomètres. Les habitants des lieux connaissaient tout autant les voies religieuses que l'on empruntait à certaines occasions : celle de la "Belle Fête de la Vallée" au cours de laquelle Amon traversait le Nil depuis Karnak pour se rendre dans les temples de millions d'années et finir son pèlerinage dans la "Sainte-Place" de Medinet Habou. "Le chemin où se repose Rê" était une autre voie, qui partait non loin du temple de Sethy Ier et menait à la Vallée des Rois : c'était celle des processions funéraires, qui permettait aux pharaons défunts d'aller rejoindre leurs "demeures d'éternité" enchâssées dans les entrailles de la divine montagne que coprésidaient Meresger (Celle-qui-aime-le-silence) et Hathor (Souveraine de l'Occident). Au fil du temps, des infrastructures urbanistiques se développèrent : tout d'abord le modeste village de la Set Maât, à Deir al-Medineh, qui servit, pendant quelques siècles, de résidence aux artisans en charge du creusement et de la décoration des tombes royales et princières. Une autre agglomération, à population plus dense, était celle qui se trouvait dans l'environnement du temple d'Amenhotep fils de Hapou, mise en place pour recevoir les familles d'ouvriers et de fonctionnaires royaux recrutées pendant des années sur le gigantesque chantier du temple de millions d'années d'Amenhotep III. Toujours pour cette lointaine époque, on peut encore citer la création de l'antique "Aton-le-resplendissant", l'actuelle Malqatta, ville authentique cette fois, avec ses palais, son harem, ses villas, ses temples, ses ateliers et ses offices administratifs, enfin son immense bassin (le "Birket Habou") ayant également fait fonction de port... ville dont il ne subsiste aujourd'hui que des ruines éparses, encore tangibles en certains quartiers, mais dont la littérature a surtout chanté les agréables espaces de vie, où a dû rayonner la joie durant au moins le temps d'un règne !
Ainsi donc, comme le rappelle ce rapide aperçu, la toponymie de même que l'extraordinaire patrimoine pharaonique encore si présent sur la rive gauche, constituent des marqueurs majeurs et déterminants de l'histoire des lieux, du temps de leur grandeur et de leur décadence. Et à travers cette histoire qui continue de s'écrire grâce aux fouilles actuelles et à l'exploitation documentaire permanente, c'est aussi celle de toute une vitalité humaine qui s'était organisée dans l'espace de ce "Bel Occident" qui nous est révélée.
MG-EA : Les Grecs, les Romains apporteront ensuite, non seulement une mixité des populations mais aussi de nouvelles "langues" : les traces de leur passage sont-elles encore visibles et "audibles" dans le paysage d'aujourd'hui ?
CL : Il est vrai qu'à l'époque gréco-romaine, Thèbes, sans perdre totalement de sa grandeur d'antan, s'est vue reléguée au rang de garnison militaire. Alexandrie a pris la relève et c'est à elle que, désormais, revient le pouvoir central. De surcroît, la culture y rayonne. Si les lettrés et l'administration s'emparent de la nouvelle langue, le grec, l'égyptien ancien est toujours couramment pratiqué, notamment par les populations locales. Les colons grecs qui s'installent à Thèbes sont surtout des militaires avec, éventuellement, leurs familles. La toponymie nous aide encore à cette époque pour comprendre l'évolution du paysage qui s'est alors dessinée en particulier sur la rive occidentale, terre qui est désormais celle des "Memnonia". Peu de monuments religieux y sont construits, mais en revanche d'autres, plus anciens, y sont rénovés, voire transformés ou agrandis pour rendre hommage à des divinités séculaires ou aux architectes Imhotep et Amenhotep fils de Hapou, promus en la circonstance "saints guérisseurs" et donc déifiés. La montagne thébaine, sanctifiée, n'est plus le réceptacle des dépouilles des rois ou des nobles d'antan. À présent, ses flancs accueillent les défunts de tous les villages environnants. C'est ainsi que les "étiquettes de momies" entre autres, nous informent sur toutes les petites localités, aujourd'hui disparues, qui avaient fleuri entre Hermonthis et Gournah. Par centaines, les graffiti également nous font part de visiteurs venus de bourgades environnantes pour un pèlerinage par exemple à Deir al-Bahari. À cette époque encore, on célèbre toujours avec solennité la "Belle Fête de la Vallée" que les textes grecs nomment alors la "Traversée du très grand dieu Amon vers les Memnonia". La rive occidentale attire aussi des étrangers, qui du monde grec et romain, viennent y faire du tourisme culturel. On vient y voir les "syringes" de la Vallée des Rois, y entendre dans la plaine "chanter" Memnon ou visiter les anciens châteaux de millions d'années, dont l'un, célèbre, y est reconnu pour être le "tombeau d'Osymandias". La "Sainte-Place" de Medinet Habou où règne une forme d'Amon primordial et l'Isieion du Deir al-Shelouît où l'on vénérait aussi le Boukhis, hypostase taurocéphale de Montou-Rê, sont des phares de la religion locale, mais qui finissent par s'éteindre vers le milieu du IVe siècle de notre ère.
MG-EA : L'époque copto-byzantine voit l'abandon des cultes païens et l'arrivée du christianisme : une autre religion, d'autres pratiques, d'autres constructions … Des églises, des deir (couvents) s'implantent réutilisant, "squattant" les sites anciens. Si ce nouveau pan d'histoire semble un peu oublié de nos jours, il reste cependant "prégnant" à plusieurs titres ?
CL : C'est tout un nouveau paysage qui va peu à peu apparaître sur la rive gauche de Thèbes avec l'arrivée progressive du christianisme. Là encore l'urbanisme ambiant semble comme avoir éclaté. Aux villages de l'époque gréco-romaine, d'autres viennent s'enraciner, avec une toponymie nouvelle encore marquée par la langue grecque, bien que le copte ait fait son apparition et se diffuse dans la société. Les temples de l'époque pharaonique sont désertés, abandonnés, lorsqu'ils ne sont pas récupérés pour être transformés en monastères. Le paganisme est vaincu et l'on assiste à l'éclosion de nouvelles pratiques religieuses. Ermites, anachorètes ou reclus vont méditer dans les déserts et s'y établissent dans des aménagements sommaires ou dans d'anciennes tombes. Ils donnent parfois leur nom à des vallées. Sur la rive gauche, Djêmé devient le pôle central de toute une partie de la communauté chrétienne : dans les remparts de l'ancien temple de Ramsès III vit une population que l'on chiffre à trois ou quatre mille âmes. Pas moins de quatre églises dont une grande basilique ont pris également possession des lieux. D'Erment au sud à Gamoula au nord, s'installent couvents et laures, dont certains ponctuent les flancs de la montagne, comme celui de Saint-Marc à Gournet Mar'eï ou de Saint-Paul à Dra' Abou al-Naga. À Deir al-Bahari, à
l'emplacement du temple d'Hatshepsout, se dresse le célèbre monastère de Saint-Phoibammon. Dans cette nouvelle vie qui s'est imposée, les comportements ont changé, les antiques coutumes et traditions n'ont pas résisté à cette évolution d'une société qui a peu à peu tourné la page d'un passé jugé révolu.
MG-EA : Tout comme les édits de Théodose Ier de 380 et 391 avaient abouti à la fermeture des temples, la conquête arabe de l'Egypte en 641 va fermer les institutions religieuses liées au christianisme… L'islam s'instaure et, au Xe siècle, une nouvelle langue s'impose : l'arabe. Un impact fort sur l'identité de ce territoire ?
CL : Au IXe siècle, on peut dire en effet que tous les monastères et lieux saints chrétiens de la rive gauche thébaine sont pratiquement fermés. Conquise par les Arabes, l'Égypte voit s'installer sur son territoire une nouvelle religion : l'islam. Depuis Le Caire où se trouve désormais le pouvoir central, les ordres sont clairs : imposition de la langue arabe et conversion religieuse des habitants. Thèbes connaît des révoltes, mais voit aussi venir et s'installer de nouvelles populations, tribus parfois d'origines étrangères. La rive occidentale est le théâtre d'une nouvelle mixité ethnique et confessionnelle, où se greffant aux autochtones, Bedjas, Qasâs, Noubas, bédouins venus d'Afrique du nord ou d'Arabie saoudite viennent à occuper les lieux et à se les partager. Les historiens arabes des XIe et XIIe siècles relatent fort bien, à travers leurs récits, la situation plutôt anarchique qui prévaut et qui va durer encore un certain temps. On sait d'ailleurs que la redoutable réputation dont s'était alors emparé l'occident thébain reviendra en permanence dans les écrits des voyageurs étrangers tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles. Il faudra attendre 1722, pour qu'une première carte nous indique trois principaux enracinements, ceux de "Baïrat", "Habou" et "Corna": trois toponymes qui seront finalement les authentiques repères, les marqueurs indiscutables de tout le développement urbanistique, humain et social, que va dès lors connaître ce territoire. C'est donc encore une nouvelle page d'histoire qui va s'écrire dans un paysage recomposé, et dans lequel bourgades, hameaux, mausolées ou cénotaphes de saints chrétiens et musulmans côtoieront de manière assez étonnante d'anciens vestiges pharaoniques, eux-mêmes promus au rang de lieux-dits, mais sans plus aucune signification religieuse.
MG-EA : Cette quête de toponymes - plus de 600 référencés ! - vous a demandé un travail de recherche important : consultation des écrits des historiens grecs, romains, ou bien des voyageurs et chercheurs des temps plus récents, étude approfondie et comparative des cartes topographiques … Vous avez également mené vos propres investigations par une enquête minutieuse "de proximité" auprès des habitants actuels pour décrypter certaines zones d'ombre planant sur divers lieux-dits ?
CL : Entrepris il y a plusieurs années, ce travail a effectivement demandé le dépouillement d'une énorme documentation et surtout une méthodologie adaptée pour traiter toutes les sources qui méritaient d'être rassemblées. Il a fallu notamment consulter de nombreux dictionnaires de géographie pour collecter les toponymes en égyptien ancien, puis les classer et les traduire en essayant de les localiser sur le terrain. Dans cette vaste quête, les graffiti, les ostraca et les papyrii ont aussi fourni des informations précieuses et ont surtout révélé l'existence de bien des lieux (topoï) dont il n'existe plus aucune trace aujourd'hui, mais qui jadis étaient pourtant bien inscrits dans le paysage de la rive gauche de Thèbes. Les historiens de l'antiquité grecque et romaine comme ceux des temps modernes ont également apporté de la matière à l'ouvrage, par leurs récits, leurs observations et les notes qu'ils prenaient souvent sur place. Il a fallu procéder enfin à des dépouillements d'archives, de répertoires, de livres, de contributions scientifiques venant de chercheurs, et parfois confronter les différentes hypothèses qui pouvaient être émises sur tel ou tel toponyme. Bien évidemment la cartographie a été prise en considération et a été attentivement étudiée et analysée, depuis les plus anciennes cartes comme celle de la région de Thèbes que l'on doit aux savants de Bonaparte, à celles d'une belle précision que nous offre encore le Survey of Egypt. La toponymie arabe qui constitue un volet important de cet ouvrage s'est révélée riche et a parfois nécessité des échanges d'opinion, en raison du dialecte local, sur le sens à donner à un mot, voire à une traduction. Dans certains cas, il a même été très profitable de communiquer sur ces sujets avec les habitants de Gournah ou de Baïrat dont les plus âgés sont dépositaires d'une infaillible mémoire des lieux. C'est donc grâce à ce fécond et sagace travail de terrain tout comme à celui qui a été mené en bibliothèque que ce livre peut aujourd'hui voir le jour...
Interview réalisée par marie grillot pour Egypte-actualités
Les auteurs :
Christian Leblanc est égyptologue, directeur de recherche émérite au CNRS et conseiller scientifique permanent auprès du CEDAE (ministère égyptien du Tourisme et des Antiquités). Depuis 1991, il dirige la Mission franco-égyptienne de recherches et de restauration du Ramesseum à Louqsor.
Angelo Sesana, professeur d'histoire de l'art ancien à l'Académie des Beaux-Arts de Côme, est directeur de la Mission archéologique italienne du temple d'Amenhotep II à Louqsor et président du Centre d'égyptologie Francesco Ballerini.
La "trilogie" de Christian Leblanc publiée chez L'Harmattan :
Le Bel Occident de Thèbes Imentet Neferet
De l'époque pharaonique aux temps modernes - Une histoire révélée par la toponymie, Christian Leblanc et Angelo Sesana, 2022
La mémoire de Thèbes - Fragments d'Egypte d'hier et d'aujourd'hui
Christian Leblanc, 2015
Ramsès II et le Ramesseum - De la splendeur au déclin d'un temple de millions d'années, Christian Leblanc, 2019
Illustration : L'égyptologue Christian Leblanc, auteur - avec la collaboration d'Angelo Sesana - de l'ouvrage "Le Bel Occident de Thèbes Imentet Neferet - De l'époque pharaonique aux temps modernes - Une histoire révélée par la toponymie" publié chez L'Harmattan en mars 2022
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